Quelques
mots sur mes collages,
par Philippe Lemaire
Jai commencé à réaliser des collages en 1977, une époque où javais beaucoup de temps pour « bricoler » (lire, écrire, etc ) car jétais pion. Je connaissais évidemment un peu ce quavaient fait des gens comme Ernst ou Prévert, mais on trouvait aussi à lépoque des collages ou des montages dans une revue comme « Lui ». Le résultat me plaisait bien, avec plein de filles dans des décors plus ou moins fantastiques. Lenvie de réaliser moi-même des collages mest venue après une visite chez une amie (Muriel). Dans sa maison de Motteville, quelques collages étaient affichés sur les murs. On voyait des visages où des séries dyeux, découpés dans les magazines, étaient montés à lenvers. Le résultat était plutôt laid, mais assez frappant. Je me suis dit que je pourrais facilement faire mieux. Mes premiers collages ont été réalisés sur un cahier (du genre cahier de texte) dans lequel je notais mes lectures et où jaccumulais images et articles découpés dans les journaux. Un livre-grenier, en quelque sorte, réalisé à mon seul usage. Après avoir réalisé un de mes premiers collages de cette façon, jai eu envie de le montrer un peu et je lai donc sorti du cahier. Par la suite, tous mes collages ont été réalisés à part, et au début, collés sur feuille de papier Canson. La couleur de la feuille cartonnée servait à mettre en valeur celles du collage lui-même. Jaimais aussi coller sur les images des morceaux de texte découpés dans les journaux, cela donnait des petits poèmes : « Un sourire, une mitrailleuse pour séduire » ; « Un homme découvert sous lempreinte des montées et des descentes des femmes du désespoir » Tout cela était tout à fait artisanal et bricolé : la colle forte utilisée gondolait le papier et laissait des traces. Exposer mes collages na jamais été une préoccupation, ces images étaient réalisées avant tout pour moi-même. Jaimais (et jaime toujours) réaliser pour mon propre émerveillement des images que personne na encore jamais vues. Cette activité était un de mes jardins secrets, impliqué que jétais dans des activités beaucoup plus sérieuses consistant à changer le monde. Dailleurs, mes amies féministes révolutionnaires se montraient parfois choquées des collages quelles voyaient exposés au mur de lappartement. Tout cela nétait pas très politiquement correct. Limage de lhomme public et celles de lhomme privé ne coïncidaient pas. Je suppose que cela était mis au compte du fait que « lhomme nouveau » nétait pas encore totalement libéré de la vieille culture machiste Je me rattrapais en faisant la promotion des « Cahiers du féminisme ». La première exposition de mes collages a eu lieu en 1988 dans un restaurant situé près de la Porte de Gand à Lille , « Les années déclic ». Létablissement était tenu par des amis qui venaient de créer leur entreprise, le lieu était sympa Au vernissage, un invité ma fait remarquer quon voyait que jaimais bien les femmes. Jai remarqué, de mon côté, que les femmes appréciaient en général mieux mes collages que les hommes, qui ny voient que lérotisme le plus évident. Quelquun ma même dit un jour (pour me taquiner) : « Faire un collage, cest facile. Tu mets une femme nue et puis cest tout ». Après cette expo, une galiériste mavait mis un petit mot en minvitant à la contacter pour exposer. Je ne lui ai jamais répondu. Je navais aucune envie, ni de jouer à lartiste, ni de vendre aucun des mes collages. Une autre exposition a eu lieu en 1992 dans un autre endroit sympa de Lille, le magasin de disques « La boucherie moderne ». A lépoque, janimais à la fois le fanzine et lémission « Staccato » sur RCV. Les collages apparaissaient dans le fanzine et javais conçu lexpo comme une des facettes de la « Fiesta RCV », une série dinitiatives pour promouvoir la radio rock de Lille. Un jour, jai eu loccasion dy amener une de mes idoles, le poète mauvaise tête de lunderground new-yorkais qui hurlait « I belong to the blank generation » en 1977 (« jappartiens à la génération vide »). Richard Hell était à Lille pour un mini-concert de promotion de son album « Dim Stars ». Il avait remisé sa poésie dans son sac à dos et faisait la gueule à lattaché de presse de New Rose. Il a fait le tour de lexpo en moins dune minute et a eu le seul mot sympa de lheure et demie que nous avons passés ensemble : « Jaime bien ». Kill your idols ! Pour le reste, mes collages sont apparus dans quelques endroits, quelques revues (le tout, rares). Je suis particulièrement fier quils apparaissent dans « Ligloo dans la dune », pour le plaisir des 31 abonnés de la revue. Par sa simplicité daccès, la technique du collage mest toujours apparue comme la meilleure façon possible de donner raison au propos de Lautréamont : « La poésie doit être faite par tous. Non par un ». Le collage est pour moi la façon la plus immédiate, la plus évidente, daccéder à la poésie : jouer avec les images, éparpiller les pièces du monde et les remonter à ma façon. On peut jouer avec les papiers découpés ou déchirés comme on joue avec les mots. Le plaisir est de jouer avec les images en les découpant, en les déchirant, en les combinant dans un ordre différent de lordre logique et qui sera pour une part le fruit du hasard, et pour une autre, celui de la recherche semi-consciente dune image encore jamais vue dont la première qualité sera de métonner, douvrir la porte dun continent intérieur encore inexploré. On peut faire ce quon veut avec les images comme avec les mots : ajouter, remplacer, retirer, se laisser surprendre par le rapprochement de deux images, y revenir, modifier encore. Gommer le défaut ou lutiliser, exactement comme les peintres de Lascaux jouaient avec les aspérités des parois de la caverne pour dessiner leurs scènes fantastiques et créer de la magie. En général, je travaille sans idée préconçue. Je cherche à éviter dutiliser la technique du collage pré-construit, monté sur rail, qui va se développer de manière prévisible sur la base dune idée pré-existante. (« A quoi sert-il de faire quelque chose si on connaît le résultat à lavance ? » : O.K. Picasso). Le collage-détournement à la mode situationniste ne mintéresse pas davantage, sauf à titre de pur amusement. La négation dadaïste a ses limites, depuis longtemps explorées. Linversion des valeurs et de tous les termes habituellement utilisés me semble un jeu trop facile. « Mettre la révolution au service de la poésie » plutôt que « la poésie au service de la révolution » par exemple, ne permet pas de sortir dun mode de pensée binaire, encore moins de constituer un projet acceptable. Entre les deux termes de lalternative, je préfère le troisième. Ce que jaime, cest rapprocher les images et voir si elles commencent à me parler. Ensuite, on sarrange. Collage pulsionnel donc, où deux moments sont particulièrement excitants : celui où lidée prend forme, moment intense du « décollage du collage ». Et celui où, le collage déjà construit, il reste le plaisir de le fignoler, den faire une image parfaite à mes yeux. Grand moment de poésie qui parfois, me donne aussi envie décrire les histoires qui nexistent pas que racontent ces images. « Quand je fais des papiers déchirés, je suis heureux » (Jean Arp, moi aussi). Au fil du temps, mes petits tableaux, directement en prise sur lEros, sont devenus plus complexes et mes exigences plus fortes. Linconvénient de la démarche purement pulsionnelle était que les collage pleinement réussis à mes yeux étaient finalement peu nombreux. À force de « peaufiner » une même image, je finis par passer trop de temps dessus et finalement, lintervention de la surprise et du hasard a tendance à se raréfier ; je tombe dans une ornière que je voulais éviter. Le fait de montrer un peu mes collages (peut-être trop peu ?) ma fait prendre conscience du fait que sils me parlaient à moi dune certaine façon, ils parlaient différemment à chacun et à chacune. Jai été frappé de constater comme les goûts exprimés pour mes collages étaient différents dune personne à lautre. « Cest du spectateur et non de la vie que lart est en fait le miroir » remarquait Oscar Wilde. Début de dialogue direct avec linconscient, cest intéressant. Jadopte aujourdhui une nouvelle approche, dans le prolongement de la précédente, qui consiste à produire quoi quil arrive dans les moments que je peux consacrer aux collages. Il marrive dentamer plusieurs collages simultanément, de tenter des rapprochements dimages dans des espaces et des directions différentes, et cest très productif. Chaque collage peut avancer de son côté, les résultats sont inégaux, mais ont le mérite dêtre là. Un phénomène curieux se produit : un premier collage réalisé selon cette technique peut être assez banal, le suivant est plus intéressant, et le dernier est souvent le meilleur. La « mise en état poétique » apparaît alors comme un entraînement qui génère lui-même son propre approfondissement, à la manière du « dérèglement de tous les sens » dont parlait Rimbaud. Il faut « coller quand le feu est en soi » (je paraphrase Thoreau à propos de lécriture). Face aux modes de penser et de voir habituellement convenus, le collage est pour moi une ouverture directe sur le désordre et la complexité du monde. Jarrache des petits bouts au réel les images, les photos sur lesquels je travaille pour les reconstruire, constituer lalbum merveilleux de ce que jai envie de garder du monde. Les revues et les catalogues en couleur imprimés sur papier glacé sont mes mines dor et les pépites de papier que jen extrais me servent à construire des clés pour ouvrir les portes de limaginaire.
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